
J’ai toujours aimé savoir que l’Humanité existe, qu’elle tourbillonne autour de moi, avec son petit quotidien propre. Quand j’étais petite, je louchais sur le courrier de la voisine, parce que je voulais voir de quels morceaux sa vie était constituée ; et aujourd’hui le soir, quand je passe dans la rue, mon œil bifurque toujours vers les fenêtres éclairées et examine avec curiosité l’intérieur des appartements. J’aime particulièrement lorsque c’est plein de bazar et que je vois que le temps manque aussi aux autres. J’ai un intérêt très prononcé pour tout ce qui ne me regarde pas. Poétiquement, on dirait que je suis une commère ; mais moi, je sais garder les secrets, alors pas d’inquiétudes, si tu m’as croisée dans un café et que tu as confessé à côté de mon oreille attentive des choses inavouables. Et si tu avais, au contraire, des histoires tout à fait inintéressantes à raconter, de ta journée de travail lénifiante au contenu de ton sac de courses, je n’en ai pas perdu une miette en sirotant mon thé.
Je ne sais pas pourquoi mes voisins m’intéressent autant mais c’est pour cette raison que j’ai aimé L’ode au chou sauté de Inoue Areno. Sur la quatrième de couverture du roman publié aux éditions Picquier, on parle de trois femmes qui tiennent une petite cantine de quartier et qui « sont des femmes qui prennent de l’âge, des femmes invisibles ». Et c’est bien cela qui était doux, ce fin rai de lumière sur ces personnages qui n’intéressent personne.
En humant les parfums de riz vapeur et de calamars frits, j’écoute des conversations privées, je devine des destins tristes et amers, j’en apprends peu et par morceaux. J’ai l’impression d’être une cliente à l’oreille qui traîne. Je suis plus jeune que ces femmes et pourtant elles me rassurent, parce qu’elles continuent de mettre la main à la pâte et à construire leurs châteaux de cartes maintes fois écroulés par les rudesses de la vie.
Inoue Areno ne propose pas un récit contemplatif qui sent la fleur de cerisier mais plutôt une tranche de vie joyeuse, parfois même polissonne, dans laquelle il n’y a pas d’action car, parfois, cuisiner et papoter, ça suffit amplement.
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