
J’ai peur des singes.
Je ne suis jamais à l’aise quand je me retrouve dans un zoo et que j’ai en face de moi un singe, quelle que fût son espèce ; j’ai l’impression de le narguer, assise sur ma propre branche de l’évolution, et j’ai aussi l’impression de lire dans son regard qu’il me déteste personnellement. Quand je vois des reportages sur ces pays exotiques où les singes sont rois, volent et pratiquent le racket, je nourris ma psychose envers eux. Je n’ai jamais été touchée par l’angoissante odyssée de Diane Fossey. Je me souviens d’une journée ensoleillée au jardin des plantes, lors de laquelle j’avais vu un orang-outan s’amuser au travers de la vitre avec un bambin humain ; le grand singe faisait des gestes pour occuper le petit qui s’agitait en babillant et je m’étais demandé, les cheveux dressés sur la tête, s’ils allaient faire un peekaboo ensemble. Bon sang ! les singes ne sont pas des animaux, libérez-les tous avant qu’ils se vengent, donnez-leur les forêts et les fruits frais, laissez-moi le métro sale et les croissants.
Bref, les singes me donnent bien des impressions et bien des frissons, à tel point que j’ai toujours refusé de regarder le moindre film sur La planète des singes.
Puis il y a eu ce jour où j’étais partie vaillamment me faire une journée cinéma et où, entre deux séances, je me suis aperçue que j’avais oublié le livre que j’étais en train de lire chez moi. Comme la tentation n’est jamais loin, j’ai fureté dans la librairie du cinéma ; je cherchais un roman court, qui rentrerait dans mon sac à main. J’ai vu La planète des singes, je l’ai pris, je l’ai reposé, j’ai remis droit une pile de livres à côté, j’ai fait un tour, je suis revenue, je l’ai pris, je l’ai reposé, j’ai renoncé car les singes sont terrifiants. Mais j’ai craqué sur un marque-page en sortant. Alors, je n’allais tout de même pas utiliser ma carte bancaire pour acheter un simple marque-page ! Ce n’est pas sérieux ! C’est comme ça que La planète des singes s’est retrouvé dans mon sac.
A ma grande surprise, je n’ai pas fait de cauchemar en lisant ce roman ; mais il faut dire que l’œuvre elle-même décrit un immense cauchemar. Malgré la froideur du style, liée au fait que le narrateur est un journaliste soucieux de rapporter les faits, j’ai apprécié ma lecture ; j’imagine que mon caractère naturellement anxieux et alarmiste s’est parfaitement épanoui dans ce récit de science-fiction. D’ailleurs, je soupçonne Pierre Boulle de partager peu ou prou la même névrose que la mienne.
Evidemment, on n’a pas peur uniquement des singes dans ce roman : on a peur de l’Humanité toute entière, de ce qu’elle est et de ce qu’elle deviendra, et c’est pour cette raison que je pense que ce livre est intemporel. Il y a tous les ingrédients pour un bon roman de science-fiction, une construction narrative classique qui nous mène quelque part, des personnages plus ou moins attachants, une réflexion sur le monde d’hier, d’aujourd’hui et de demain.
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